Chakhrisabz - Complexe Dorus Saodat
Le Complexe Dorus-Saodat à Chakhrisabz – un monument de la dynastie des Temourides
Chakhrisabz, la ville natale historique du souverain légendaire Amir Temur, était aux 14e et 15e siècles non seulement un centre politique et militaire important, mais aussi un lieu de vie culturelle et religieuse. Outre le monumental palais Ak-Saray, un autre édifice exceptionnel y a été construit en 1380, le complexe Dorus-Saodat, considéré comme l’un des ensembles de mausolées les plus importants d’Asie centrale. Aujourd’hui, il ne reste de cet ensemble commémoratif autrefois somptueux que le mausolée de Djahongir et la tombe d’Amir Temur – une tombe dans laquelle le grand conquérant n’a toutefois jamais été enterré.
Une occasion tragique – la naissance du complexe
La construction du complexe Dorus-Saodat remonte à une tragédie profondément émouvante. En 1376, le fils aîné de Temur, Djahongir, est décédé de manière totalement inattendue à l’âge de 22 ans seulement. Le jeune prince n’était pas seulement le premier fils de Temur, mais aussi son héritier désigné. Sa mort soudaine a bouleversé toute la région et a plongé le souverain lui-même dans une profonde tristesse. Les chroniqueurs contemporains décrivirent Djahongir comme « un beau prince et un brave soldat qui s’épanouissait comme une rose sur la terre ».
Le corps du prince décédé à Samarkand fut transporté dans la patrie de ses ancêtres, à Chakhrisabz, et enterré dans un ancien cimetière familial. À cette époque, Amir Temur avait déjà l’idée d’y construire un lieu de sépulture dynastique pour lui et ses descendants. Après sa campagne victorieuse contre Khoresm, il commença la construction du complexe Dorus-Saodat quatre ans plus tard, c’est-à-dire en 1380.
L’architecture du complexe de Dorus-Saodat
Le complexe était conçu comme un mémorial monumental, comprenant à la fois un lieu de sépulture et un établissement d’enseignement spirituel. Un mausolée a été érigé au-dessus de la tombe de Djahongir, rattaché à une médersa. La médersa servait de centre philosophique et religieux à l’ensemble. Certains historiens interprètent le nom de Dorus-Saodat comme des « leçons de pouvoir », une interprétation arabe du terme.
Le mausolée de Djahongir
Le somptueux mausolée de Djahongir était la pièce maîtresse du complexe sur le plan architectural. Les rapports contemporains, notamment ceux de l’ambassadeur espagnol Ruy González de Clavijo, décrivent l’édifice comme étant décoré d’or, de bleu azur et de carreaux élaborés. L’intérieur était décoré de faïences très fines et de marbres savamment sculptés, tandis que les murs étaient ornés de calligraphies et de motifs ornementaux.
La médersa perdue et la protection économique
À l’est du mausolée se trouvait la ziyaratkhona, une salle de prière. Les fouilles archéologiques ont par ailleurs révélé les traces d’une niche de portail monumentale de la médersa, qui présentait une portée impressionnante de plus de 20 mètres entre les culées. L’ancienne entrée principale menait par un couloir à la cour de la médersa, où se trouvaient des hudjras – petites cellules d’habitation pour les érudits.
Contrairement à la plupart des médersas qui servaient de hautes écoles pour les sciences islamiques, la médersa de Dorus Saodat était principalement un mémorial. Son entretien économique était assuré par d’importantes fondations waqf. Celles-ci consistaient en des terres, des vergers et des domaines agricoles dont les revenus étaient utilisés pour l’entretien des tombes et l’alimentation des serviteurs. De plus, un ordre royal de Temur stipulait que vingt moutons cuits devaient être apportés chaque jour à la medrese et distribués aux nécessiteux.
Malheureusement, la médersa a été victime de la destruction d’Abdullakhan au 17e siècle, si bien qu’il ne reste aujourd’hui que quelques fondations et des vestiges du portail autrefois magnifique.
La deuxième tragédie – la mort d’Omarchikh
En 1394, Amir Temur fut frappé par un autre coup dur : son deuxième fils, Oumarsheikh, tomba lors du siège d’une forteresse kurde en Iran. Lui aussi fut transféré à Chakhrisabz et enterré dans le complexe de Dorus-Saodat. La double tragédie de ses fils décédés a définitivement transformé le complexe commémoratif en sanctuaire dynastique.
Le mausolée inachevé d’Amir Temur
Bien qu’Amir Temur ait également voulu se faire enterrer dans le complexe de Dorus Saodat, son mausolée n’a jamais été achevé. En 1404, il visita personnellement l’édifice et se montra insatisfait car l’entrée lui paraissait trop basse. Il ordonna une adaptation de l’architecture, mais sa mort soudaine en 1405 laissa les travaux inachevés.
Au lieu d’être enterré à Chakhrisabz, le grand conquérant fut finalement inhumé dans la nécropole de Gour-Emir à Samarcande. Néanmoins, grâce à des documents historiques et à des recherches archéologiques, sa tombe d’origine a pu être identifiée au sein du complexe Dorus-Saodat.
La crypte mystique – un symbole de l’éphémère
La crypte souterraine, considérée comme l’une des rares structures conservées du mausolée prévu d’Amir Temur, est particulièrement impressionnante. Un escalier escarpé mène à une petite chambre funéraire d’à peine 40 mètres carrés, construite en blocs de calcaire marmoréen gris clair. Les murs, la coupole et le sol sont décorés d’inscriptions artistiques et de versets coraniques écrits à la main par Sülüs. On peut y lire les mots suivants :
- « Le règne appartient à Allah. Seul Allah est éternel ».
- « Le bien est dans la main d’Allah et Il est puissant sur toute chose ».
Au centre de la crypte se trouve un sarcophage en marbre massif, recouvert d’une lourde plaque de marbre de 11 centimètres d’épaisseur. Cinq anneaux en fer situés aux coins et au centre indiquent que la tombe a peut-être été ouverte ou réaménagée ultérieurement.
Le complexe de Dorus-Saodat aujourd’hui – un lieu de commémoration
Malgré sa destruction partielle par le temps, le complexe de Dorus-Saodat reste un lieu fascinant d’histoire. Les quelques structures conservées témoignent de la splendeur passée de l’architecture timouride et font de ce lieu un monument culturel majeur de l’Ouzbékistan.
Le complexe est aujourd’hui l’une des principales attractions touristiques de Chakhrisabz et attire des visiteurs du monde entier qui souhaitent admirer les imposants vestiges et se plonger dans l’histoire profondément émouvante de la famille Temur.
Bien plus qu’un simple lieu de sépulture, le complexe Dorus-Saodat est un symbole de la grandeur et des tragédies de la dynastie des Timourides. Ses ruines monumentales racontent l’histoire de l’une des plus grandes familles régnantes d’Asie centrale et rappellent l’héritage d’Amir Temur, dont l’influence se fait encore sentir aujourd’hui.