Khiva - Ichan Kala Murs
Les remparts d’Itchan Kala à Khiva – architecture de défense et symbole de représentation d’une ville oasis d’Asie centrale
Au cœur de la ville ouzbèke de Khiva, les remparts d’Itchan Kala constituent l’un des exemples les plus impressionnants et les mieux conservés de l’architecture défensive pré-moderne en Asie centrale. Partie intérieure, la plus ancienne et la plus importante historiquement de Khiva, la muraille entoure le site d’Itchan Kala, un ensemble de mosquées, de médersas, de mausolées, de maisons d’habitation et de palais, aujourd’hui inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Les fortifications monumentales de la ville ne servaient pas seulement à protéger physiquement les habitants, mais étaient l’expression d’un aménagement urbain bien pensé, d’une autorité politique et d’une affirmation culturelle.
La structure de Chiva suivait un principe urbanistique clairement structuré : la ville était divisée en deux unités concentriques – l’Itchan Kala (forteresse intérieure) et la Dishan-Kala (ville extérieure) qui l’entourait. La muraille intérieure, dont les origines remontent au 5e ou 4e siècle avant J.-C., constitue la partie la plus ancienne et la plus monumentale de cette double structure fortifiée. Les murs conservés jusqu’à aujourd’hui datent principalement d’époques ultérieures, notamment de l’apogée du khanat de Khiva du 17e au 19e siècle, et ont été restaurés et renforcés en plusieurs étapes.
Dimensions architecturales et matérialité
Le mur d’Itchan Kala s’étend sur une longueur d’environ 2.250 mètres, formant ainsi un rectangle presque entièrement fermé autour du centre historique de la ville. Sa hauteur varie entre 8 et 10 mètres, tandis que sa largeur peut atteindre 8 mètres à la base. Cette imposante structure a été construite en briques d’argile moulées à la main de 40 x 40 x 10 centimètres, un matériau de construction traditionnel apprécié en Asie centrale pour sa résistance au climat, son isolation thermique et sa disponibilité régionale. L’argile, mélangée à de la paille et du sable, s’est associée à un matériau de construction durable et néanmoins respirant, parfaitement adapté au climat du désert.
Le mur ne suit pas une ligne simple, mais est interrompu à intervalles réguliers – tous les 30 mètres environ – par des tours de défense semi-circulaires. Ces tours dépassent légèrement le mur principal et permettent ainsi de flanquer les assaillants potentiels sous différents angles. Les bords supérieurs sont pourvus de créneaux dans les espaces desquels se trouvent d’étroites meurtrières. Celles-ci permettaient aux archers, et plus tard aux manieurs d’armes à feu, de viser les troupes ennemies sans être eux-mêmes complètement à la merci des assauts.
Un vestige remarquable de la défense d’origine est le système de fossés d’eau qui sécurisaient en outre les murs, surtout sur les sections sud et est. Ces fossés étaient alimentés par l’eau des canaux de l’Amu Darya et constituaient une barrière efficace contre les peuples cavaliers attaquants ou les armées assiégeantes. Alors que des traces de ces fossés sont encore visibles aujourd’hui sur le terrain dans la partie sud, ils ont été recouverts dans d’autres parties de la ville par des mesures d’urbanisation ultérieures – notamment par des routes goudronnées.
Portes de la ville en tant que constructions militaires, administratives et représentatives
Quatre portes monumentales sont encastrées dans le mur d’Itchan Kala, chacune marquant l’un des points cardinaux et servant autrefois d’accès principal à la ville :
- Ata-Darwoza (porte ouest)
- Polvon-Darwoza (porte est)
- Tosh-Darwoza (porte sud)
- Bagcha-Darwoza (porte nord)
Ces portes ne faisaient pas seulement office d’entrées et de sorties contrôlées, elles étaient également stratégiquement conçues pour se connecter aux principales routes caravanières et aux axes commerciaux. Leur construction massive en briques cuites et leur structure interne complexe – avec des passages à voûtes multiples, des niches latérales surveillées, de petites salles à coupole ainsi que des logements pour les gardiens, les percepteurs et le personnel administratif – illustrent leur rôle multifonctionnel dans la vie militaire et civile de la ville.
Dans certains cas, les portes contenaient également des salles d’audience ou des cellules de prison, ce qui souligne leur importance dans l’architecture judiciaire et sécuritaire de Chiva. La Polvon-Darwoza, également connue sous le nom de « porte des exécutions », était notamment associée à la justice publique et à l’exécution des peines – un rappel des mécanismes prémodernes d’exercice du pouvoir dans les sociétés islamiques.
Parallèlement, ces constructions possédaient une forte dimension symbolique. Dans le contexte culturel du monde islamique, les portes de ville monumentales étaient considérées comme des emblèmes du pouvoir urbain, de la souveraineté et de la légitimité religieuse. Elles étaient donc décorées de manière très élaborée avec des carreaux de céramique, des champs d’inscriptions marbrés, des versets calligraphiés tirés du Coran, des dédicaces poétiques ainsi que des louanges des khans. Des couleurs telles que le bleu cobalt, le turquoise et le blanc dominaient les images des carreaux, dont l’ornementation s’intégrait parfaitement dans le langage architectural de l’ensemble de la vieille ville.
Architecture défensive dans le contexte de la légende et de la topographie
Selon une légende locale, la ville de Khiva a été fondée sur une colline de sable naturelle, ce qui souligne encore la position élevée des remparts. Bien que les découvertes archéologiques ne confirment que partiellement cette légende, la surélévation topographique dans la partie sud de la vieille ville est interprétée par les spécialistes comme un emplacement délibérément choisi pour un effet défensif maximal.
Par leur aspect massif et leur orientation stratégique, les remparts n’étaient pas seulement une protection, mais aussi un moyen de communication politique. Leur silhouette, en particulier au lever ou au coucher du soleil, donnait l’impression que la ville était une forteresse imprenable – un rempart aussi psychologique que réel. Pour les caravanes et les étrangers qui s’approchaient de la ville, le mur était le premier signe visible de l’ordre urbain et de l’autorité de la cour.
Perte d’importance et transformation au 20e siècle
Avec la perte progressive de leur fonction militaire à la fin du 19e et au début du 20e siècle – notamment en raison de l’arrivée des troupes russes et de l’intégration de Khiva dans l’empire tsariste, puis dans l’Union soviétique – les remparts ont perdu leur fonction initiale. Des parties des fortifications extérieures ont été démolies ou sont tombées en ruine. Les murs d’Itchan Kala ont toutefois été préservés grâce à leur importance culturelle et historique et ont été documentés, cartographiés et restaurés sous l’égide soviétique dès les années 1930.
Aujourd’hui, les murs servent moins de barrière que de monument préservant le caractère historique de Chiva. Certaines portes ont été ouvertes à la circulation moderne, d’autres sont restées des accès piétons. Certains espaces autrefois militaires à l’intérieur des portes ont été transformés en musées, en centres d’information ou en institutions culturelles – une transformation qui illustre de manière exemplaire la réutilisation contemporaine d’infrastructures historiques.
Les remparts et les portes d’Itchan Kala sont bien plus que des vestiges d’une époque révolue. Ce sont des témoignages architecturaux bien pensés, stratégiquement planifiés et esthétiquement chargés d’une époque où protection, pouvoir et représentation étaient indissociables. Leur conservation permet de jeter un regard unique sur l’art de la construction militaire, l’organisation de l’espace urbain et la culture politique de l’Asie centrale. Faisant partie intégrante du patrimoine mondial de l’UNESCO de Khiva, elles sont aujourd’hui le symbole d’un urbanisme conscient de la continuité, qui ne conçoit pas l’héritage historique comme un décor de musée, mais comme un espace vivant.
Par leur force archaïque, leur clarté formelle et leur profondeur cultuelle, les murs d’Itchan Kala comptent parmi les plus importantes fortifications urbaines de l’espace culturel islamique – un bastion d’argile et d’histoire qui protège et définit l’âme de Khiva jusqu’à aujourd’hui.