Histoire de Boukhara : un regard fascinant sur la beauté séculaire et la majesté culturelle d’une ville légendaire
Boukhara est une ville oasis, la plus grande colonie au milieu du désert. La ville, autrefois située sur la Grande Route de la Soie, est l’une des plus anciennes – l’histoire de Boukhara remonte à plus de 2500 ans.
Boukhara incarne l’histoire séculaire des anciennes traditions avec l’Islam. C’est une ville où règne une incroyable atmosphère de sagesse, de sainteté et d’enseignement. Une fois arrivé dans cette ville, on se retrouve dans un autre monde et sur une autre planète. Un incroyable mélange de civilisations culturelles, religieuses et ethniques a fait de Boukhara une ville aux expériences inoubliables.
Sur le territoire de la région de Boukhara vivaient des zoroastriens, des chrétiens, des juifs, des bouddhistes. À la fin du IXe siècle, Boukhara est devenu l’un des plus importants centres islamiques et culturels d’Asie Centrale. Depuis plusieurs siècles, des voyageurs, des pèlerins, des prédicateurs et des chercheurs viennent ici. Boukhara est une perle de connaissances scientifiques, religieuses et philosophiques.
Les personnalités religieuses et scientifiques de leur temps ont vécu et étudié ici: Alisher Navoi, Abu Ali ibn Sino, Al-Bukhari et bien d’autres. Ils étaient les plus célèbres adeptes des enseignements spirituels et philosophiques du soufisme. Leur savoir a été préservé dans ce pays. Ils ont créé d’incroyables monuments matériels et immatériels, fait des découvertes et construit des madrasa et des mosquées d’une beauté inimaginable.
Les premières traces historiques ont été faites par Narshakhi dans « l’Histoire de Boukhara » au 10ème siècle. Dans son travail, il a décrit l’ancienne forteresse de l’Arche, qui peut encore être visitée aujourd’hui. Comme Samarcande, Boukhara est passée d’un conquérant à l’autre pendant de nombreux siècles. Tous les habitants de Boukhara se souviennent de leurs dirigeants et les connaissent très bien.
Témoignages archéologiques de la préhistoire – La couche d’habitat de Paikend et l’oasis de Zarafshan
La région de Boukhara était déjà peuplée à l’époque préhistorique. Des fouilles archéologiques dans les environs, notamment à Paikend, un précurseur des formes d’habitat urbain au sud-ouest de Boukhara, indiquent une occupation continue depuis le deuxième millénaire avant Jésus-Christ. Les premières traces d’habitat appartiennent à la culture dite Sapalli, une civilisation de l’âge du bronze qui s’est développée dans la région de l’actuelle oasis de Zerafshan.
Cette civilisation avancée a développé des systèmes d’irrigation pour l’exploitation agricole du paysage de l’oasis et a jeté les bases d’un habitat durable. La fertilité de l’oasis et l’accès aux cours d’eau, notamment l’Amu-Darya (Oxus), ont favorisé l’émergence de la production agricole, du commerce et, plus tard, des structures urbaines. Le passage d’un mode de vie nomade à une agriculture sédentaire a constitué une étape importante dans le développement de la région et a jeté les bases de villes ultérieures comme Boukhara.
L’époque de l’Altiran et la floraison sogdienne – la naissance d’une métropole commerciale
Au premier millénaire avant J.-C., la région de l’actuelle Boukhara faisait partie de la sphère culturelle du monde de l’Altiran. L’influence des Achéménides – le premier grand empire perse – est attestée par l’archéologie, même si leur contrôle sur la lointaine Sogdiane était probablement de nature indirecte. Plus tard, après la chute des Achéménides suite aux conquêtes d’Alexandre le Grand au 4e siècle avant J.-C., la Transoxiane a été intégrée à l’empire séleucide puis au royaume gréco-bactrien.
Durant la période hellénistique, les villes de Sogdiane se sont progressivement développées en centres urbains avec des installations fortifiées, des places de marché, des bâtiments administratifs et des temples. Même si Boukhara n’existait pas encore à l’échelle actuelle à cette époque, la culture sogdienne a posé les bases de sa future prospérité. Les Sogdiens – un peuple de langue iranienne – étaient célèbres pour leur rôle de commerçants, d’intermédiaires et de porteurs de culture le long des premières routes de la soie. Ils contrôlaient une grande partie du commerce entre la Chine, l’Inde, l’Iran et le monde méditerranéen.
Boukhara s’est développée à cette époque, passant d’un village fortifié à une colonie urbaine en plein essor, dont la situation privilégiée sur d’importantes routes commerciales lui a conféré une importance économique croissante. L’influence sogdienne ne s’est pas seulement manifestée dans la langue et la religion, mais aussi dans l’architecture urbaine, l’administration et les structures sociales.
Diversité culturelle dans l’Antiquité – zoroastrisme, bouddhisme et religions commerciales
Dans l’Antiquité, Boukhara était un centre culturellement et religieusement pluraliste. Outre la population sogdienne dominante, des commerçants, des colons et des missionnaires venus d’Inde, de Chine, d’Iran et plus tard de Byzance étaient présents dans la ville. Le zoroastrisme a été la religion dominante pendant des siècles – des temples du feu et des lieux sacrés dédiés à cette doctrine ont également été érigés à Boukhara.
Cependant, avec l’influence croissante du commerce à longue distance et des contacts transrégionaux, d’autres courants religieux sont arrivés dans la région : des missionnaires bouddhistes ont atteint Boukhara depuis l’Inde et la Bactriane, et il existe des références à des monastères et stupas bouddhistes dans les environs de la ville. Le manichéisme, une religion mondiale syncrétique aux racines iraniennes, ainsi que le christianisme primitif d’inspiration nestorienne ont également trouvé leur chemin dans la région.
Cette diversité religieuse témoigne du caractère ouvert de la ville dans l’Antiquité et de sa fonction de creuset culturel entre l’Orient et l’Occident. La tolérance envers les différentes croyances était moins l’expression d’une ouverture idéologique que d’une nécessité pratique dans une ville qui vivait des échanges internationaux.
La ville dans la ligne de mire des grandes puissances – De l’empire kouchan aux Hephtalites
Entre le 1er et le 5e siècle après J.-C., Boukhara est passée à plusieurs reprises sous le contrôle de grands empires changeants, dont l’empire Kouchan, qui s’étendait du nord de l’Inde à la Transoxiane, et plus tard les Hephtalites, un peuple nomade d’Asie centrale avec des éléments iraniens et hunniques.
Sous ces dominations, Boukhara devint une ville consolidée avec une infrastructure urbaine, un système d’artisanat organisé, des guildes commerciales et une vie religieuse différenciée. La découverte de pièces de monnaie, d’inscriptions et de rapports d’ambassades chinoises témoigne de l’essor économique de la ville et de son intégration croissante dans des réseaux suprarégionaux.
Conquête arabe et islamisation
L’islamisation de Boukhara faisait partie de l’expansion à grande échelle de la dynastie arabe des Omeyyades vers l’est. Sous la direction militaire de Qutayba ibn Muslim, Boukhara a été intégrée au califat arabe en 709 après J.-C. après de violents combats. La transition vers l’islam s’est d’abord faite de manière hésitante. La population locale – principalement des Sogdiens d’origine zoroastrienne et bouddhiste – manifesta une résistance à la nouvelle religion et à ses implications politiques.
Les gouverneurs arabes ont toutefois poursuivi une politique cohérente d’islamisation. Des mosquées ont été construites, la langue et la culture arabes ont été introduites et, par une combinaison habile de pression et d’intégration, Boukhara a réussi à s’intégrer durablement dans l’espace culturel islamique. La mosquée Juma (mosquée du vendredi) devint le centre spirituel de la ville, et c’est avec elle que commença la nouvelle architecture religieuse qui caractérise encore aujourd’hui le paysage urbain.
Les Samanides – une renaissance perso-islamique
Mais c’est sous la dynastie des Samanides, qui régna sur une grande partie de l’Asie centrale et de l’Iran de 819 à 999, que Boukhara connut son véritable essor. Les Samanides, d’origine perse, étaient des vassaux du califat abbasside, mais devinrent de facto des souverains indépendants avec une vision claire : ils associaient l’islam à la renaissance de la culture et de la langue perses.
En 892, Boukhara fut déclarée capitale de l’empire samanide, un acte politique d’une portée considérable. Au cours des décennies suivantes, la ville devint le centre d’un renouveau culturel qui la plaça sur un pied d’égalité avec Bagdad, Le Caire et Cordoue. Ce fut une époque où la théologie, la philosophie, la poésie, la science et l’architecture prospérèrent à un niveau jamais atteint jusqu’alors.
Boukhara, centre de l’érudition islamique
Durant « l’âge d’or » des Samanides, Boukhara s’est imposée comme l’un des principaux centres intellectuels du monde islamique. D’importantes médersas (écoles coraniques) ont été fondées et la ville a attiré des érudits, des poètes et des philosophes de tout le califat. Dans les complexes de madrasa, on n’enseignait pas seulement l’exégèse du Coran, le droit islamique et la science des hadiths, mais aussi la philosophie, l’astronomie, les mathématiques, la médecine et la poésie.
Le fils le plus célèbre de cette époque fut sans aucun doute Ibn Sina, connu en Occident sous le nom d’Avicenne. Ce savant universel est né près de Boukhara et a reçu sa formation dans cette ville. Son ouvrage médical « Canon de la médecine » est resté pendant des siècles le manuel de référence en Europe et dans le monde islamique. Le savant Al-Farabi et le poète Rudaki, considéré comme le père de la littérature persane, ont également travaillé à Boukhara ou à proximité et ont fait de la ville un centre intellectuel lumineux.
L’architecture et l’urbanisme de l’âge d’or
La manifestation matérielle de cet essor culturel se manifeste de manière impressionnante dans l’architecture. Le mausolée des Samanides, érigé vers la fin du 9e siècle pour Ismail Samani, le souverain le plus important de la dynastie, est l’un des plus anciens monuments islamiques conservés en Asie centrale. Il est considéré comme un chef-d’œuvre de l’architecture en briques du début de l’Islam, qui a posé des jalons tant du point de vue technique qu’esthétique.
Le mausolée a été construit dans des formes géométriques claires, avec des briques à motifs artistiques qui créent un effet presque textile. Il est un exemple de l’association de la tradition architecturale perse et de la symbolique islamique – une expression de cette synthèse culturelle qui caractérisait l’empire samanide.
L’urbanisme a également été développé de manière décisive à cette époque. La structure urbaine de Boukhara a été réorganisée : Outre les mosquées et les médersas, des caravansérails, des bazars, des palais et des bains ont vu le jour. La vie publique s’épanouit et Boukhara devint un aimant pour les commerçants, les artisans, les intellectuels et les pèlerins.
Importance religieuse et titre de « dôme de l’islam »
Outre sa fonction politique et culturelle, Boukhara est devenue au cours de ce siècle un important centre religieux de l’islam sunnite. La ville est devenue un chef-lieu de l’école juridique hanafite, l’une des quatre grandes écoles juridiques de l’islam sunnite. Un grand nombre des juristes hanafites les plus influents de l’époque ont travaillé à Boukhara, et leurs enseignements se sont répandus à partir d’ici à travers l’Asie centrale et au-delà.
Le surnom de « Qubbat al-Islām » – « Coupole de l’Islam » – reflétait cette importance spirituelle. La ville était considérée comme un bastion de l’enseignement islamique orthodoxe et devenait un contrepoids idéal à d’autres centres religieux comme Bagdad ou Le Caire.
La fin de l’âge d’or
L’âge d’or a connu une fin abrupte avec l’invasion des Karachanides à la fin du 10e siècle, suivie de nouvelles conquêtes par les Ghaznawides et enfin des attaques dévastatrices des Mongols au 13e siècle. La dynastie samanide s’est effondrée, son rayonnement culturel s’est estompé et Boukhara a été détruite et reconstruite à plusieurs reprises au cours des siècles suivants.
Mais l’héritage spirituel et culturel de cette période a été préservé. Les bases posées durant l’âge d’or ont constitué le fondement des civilisations islamiques qui ont suivi en Asie centrale et ont influencé durablement l’ensemble du monde islamique.
Règles turques – l’héritage des Samanides en de nouvelles mains
Après la chute de la dynastie des Samanides vers la fin du 10e siècle, Boukhara tomba d’abord sous le contrôle des Karakhanides, une dynastie d’origine turque qui se réclamait de l’islam et qui régna sur la Transoxiane entre 999 et 1212 environ. Les Karakhanides ont délibérément misé sur la continuité et ont maintenu de nombreuses structures culturelles et administratives établies par les Samanides. Sous leur règne, Boukhara resta un important centre d’érudition islamique et de formation religieuse, notamment dans le cadre de l’école de droit hanafite.
Malgré la continuité culturelle, la structure ethnique et sociale de la ville a changé : l’élite d’origine turque a occupé de plus en plus de positions centrales de pouvoir, tandis que la population persanophone dominait culturellement. Cette synthèse entre le leadership turc et la haute culture persane et islamique marqua dès lors l’image de nombreuses villes d’Asie centrale.
Les Karakhanides furent suivis, à partir du début du 12e siècle, par les Khorezm-Shahs, une autre dynastie importante qui contrôlait une grande partie de l’Asie centrale depuis son centre sur la mer d’Aral. Eux aussi voyaient en Boukhara un bastion important de l’autorité religieuse et de l’importance économique. La prospérité de la ville reposait à l’époque sur un commerce florissant, un artisanat traditionnel et son rôle de centre intellectuel du monde islamique.
La tempête mongole – dévastation et désolation
Le 13e siècle a marqué un tournant dans l’histoire de Boukhara, laissant de profondes blessures. Sous le commandement de Gengis Khan, les Mongols ont envahi Boukhara en 1220 lors de leur campagne contre l’empire Khorezm. La conquête de la ville a été brutale. Les sources contemporaines font état de destructions massives, de pillages et d’un massacre dévastateur de la population civile. L’anecdote légendaire selon laquelle Gengis Khan est monté sur la chaire de la mosquée principale en s’exclamant : « Je suis le châtiment de Dieu » a un caractère symbolique pour l’ampleur de la dévastation.
Par la suite, Boukhara a certes été reconstruite, mais sous la domination mongole – notamment par les Ilkhans et plus tard sous le contrôle des khans Tchagataï – la ville a d’abord perdu sa position de leader politique et économique. Néanmoins, les conquérants mongols réussirent à respecter les institutions islamiques et, plus tard, à entrer eux-mêmes dans le tissu religieux et culturel. A partir de la fin du 13e siècle, une grande partie de l’élite mongole se réclama de l’islam, ce qui marqua le début d’une nouvelle phase d’intégration culturelle.
La renaissance timouride – la renaissance par l’art, la science et la spiritualité
L’ascension du conquérant d’Asie centrale Timour (Tamerlan) à la fin du 14e siècle a marqué le début d’une nouvelle ère pour Boukhara. Bien que Samarcande ait été le centre de pouvoir préféré de Timour, Boukhara est restée une ville importante au sein de son empire – à la fois comme centre spirituel et comme lieu d’éducation religieuse et d’érudition traditionnelle.
La Renaissance timouride fut une période d’effervescence culturelle qui porta l’art, l’architecture, la littérature et la science à un nouveau niveau. Timour et ses successeurs ont encouragé de manière ciblée la reconstruction des villes détruites, la restauration des institutions éducatives islamiques ainsi que l’emploi d’artistes, d’architectes, de mathématiciens et de théologiens. Boukhara a bénéficié de cette politique : de nouvelles mosquées, médersas et mausolées ont été construits ou entièrement restaurés. Les anciens caravansérails ont également été ressuscités et ont servi au commerce florissant le long de la route de la soie.
La promotion de la Naqschbandiyya, un ordre islamique mystique soufi influent dont l’homonyme Baha’uddin Naqschband est né non loin de Boukhara, a joué un rôle particulier dans ce contexte. La Naqschbandiyya associait l’ascétisme spirituel à l’engagement social et est devenue au 15e siècle le mouvement religieux le plus marquant de la région. Sous le patronage des Timourides, Boukhara devint un centre spirituel de l’ordre, dont l’influence s’étendit bien au-delà des frontières de la Transoxiane – jusqu’en Inde, en Perse et dans l’Empire ottoman.
Continuité intellectuelle malgré les bouleversements politiques
Malgré les instabilités politiques, les guerres et les occupations, Boukhara est restée un phare intellectuel pendant tous ces siècles. La ville a conservé sa position comme l’un des principaux centres d’éducation islamique. Ses médersas attiraient des étudiants de tout l’espace musulman, ses bibliothèques étaient légendaires, ses débats théologiques faisaient autorité.
Même pendant sa marginalisation temporaire après l’invasion mongole, la « science de l’islam » – dite ʿIlm al-dīn – est restée vivante à Boukhara. L’école juridique hanafite continuait à dominer la compréhension du droit, complétée par des courants philosophiques et mystiques.
Avec la fin du règne des Timourides et le début de la domination des cheibanides ouzbeks à la fin du 15e et au début du 16e siècle, une nouvelle période historique s’est ouverte à Boukhara. Cette période a été marquée par des bouleversements politiques, une réorganisation territoriale et une renaissance culturelle remarquable qui a fait de Boukhara l’un des principaux centres du monde islamique. Sous la dynastie des Chaybanides et l’établissement du Khanat de Boukhara qui s’ensuivit, la ville se transforma d’un centre régional en une capitale à l’influence suprarégionale dans les domaines de la politique, de la science, de la religion et de l’architecture.
L’ascension des Chaybanides – la prise de pouvoir par Mohammed Chaybani Khan
Les Chaybanides, une famille dirigeante ouzbèke, tirent leur origine de Chayban, un petit-fils de Gengis Khan. Ils faisaient partie de ce que l’on appelle les « Abulkhairides », une importante tribu d’Ouzbeks d’Asie centrale qui, au XVe siècle, gagna de plus en plus d’influence en Transoxiane et dans l’actuel Ouzbékistan.
Le tournant décisif a eu lieu en 1500, lorsque Muhammad Chaybani Khan, un chef charismatique et militairement efficace, s’est emparé de Samarcande avec ses troupes de cavaliers ouzbeks et a évincé les derniers souverains timourides de la région. En 1506, il réussit à conquérir Boukhara et, peu après, Hérat, qui était alors le centre culturel de l’empire timouride. Grâce à ces succès, Chaybani Khan a consolidé un nouveau centre de pouvoir en Transoxiane – le khanat des Chaybanides – avec Samarcande et Boukhara comme villes principales.
Boukhara sous les premiers Chaybanides – De la ville provinciale au centre du pouvoir
Bien que Samarcande soit restée la capitale, Boukhara a pris de plus en plus d’importance politique et religieuse sous les Chaybanides. Après la mort de Chaybani Khan en 1510 lors d’une bataille contre les troupes safavides de Perse, une phase de luttes internes pour le pouvoir commença sous les Chaybanides. Durant cette phase, Boukhara devint un siège privilégié pour les souverains en raison de sa position stratégique, de son infrastructure économique et de ses institutions religieuses.
Le statut officiel de Boukhara en tant que capitale de l’empire cheibanide ne fut établi durablement que plus tard, sous Abdullah Khan II (r. 1557-1598). Il fut le souverain le plus important de l’époque cheibanide. Durant son long règne, Boukhara devint non seulement un siège permanent du gouvernement, mais se développa également en un phare culturel du monde islamique.
Organisation politique et légitimation religieuse
Les Chaybanides ont su stabiliser leur règne en combinant habilement puissance militaire, légitimité dynastique (via leur ascendance gengiside) et autorité religieuse. Ils coopérèrent étroitement avec les influents oulémas (érudits islamiques) et les chefs des ordres soufis, en particulier la Naqschbandiyya, qui était profondément enracinée à Boukhara.
Sous Abdullah Khan II, un système administratif centralisé a été mis en place, s’appuyant sur des gouverneurs locaux (Bek ou Hakim), une armée permanente et un réseau de fondations religieuses (waqf). Boukhara, en tant que capitale, devint le siège d’une cour puissante avec des liens diplomatiques avec la Perse, l’Inde, l’Empire ottoman et la Russie.
Floraison culturelle et architecturale
La période du règne cheibanide a été marquée par une renaissance des sciences, de la littérature et de l’architecture islamiques. D’importantes médersas, mosquées, caravansérails et marchés ont été construits à Boukhara, qui marquent encore aujourd’hui le paysage urbain.
Parmi les projets de construction les plus remarquables, on peut citer :
- La médersa Mir-i-Arab (construite dans les années 1530 par Abdullah Khan II), un symbole de l’érudition religieuse et l’un des plus importants centres d’enseignement islamique d’Asie centrale.
- La mosquée et le minaret de Kalon, qui dataient de l’époque timouride, ont été restaurés et complétés par de nouvelles constructions.
- Le complexe de Labi-Hauz, un ensemble autour d’un bassin artificiel, a été construit sous la dynastie janide suivante, mais ses origines conceptuelles remontent à l’urbanisme cheibanide.
Les Chaybanides ont également encouragé les arts, en particulier la peinture miniature, la calligraphie et la poésie. Boukhara devint un centre de l’art du livre, de la chronologie et de la recherche juridico-théologique. De nombreux commentaires de manuscrits, chroniques historiques et ouvrages de droit islamique ont été rédigés à cette époque et enseignés dans les médersas de la ville.
Essor économique et réseau international
La stabilité politique sous Abdullah Khan II a également permis une consolidation économique. Boukhara a profité du commerce florissant le long de la Route de la Soie, notamment dans les échanges avec la Perse, l’Inde et la Chine. La ville devint un important centre de transit pour la soie, le coton, les métaux précieux, les épices et les manuscrits. Un réseau sophistiqué de caravansérails, de bazars et d’entrepôts soulignait le rôle de Boukhara comme plaque tournante du commerce.
Parallèlement, Boukhara est devenue une plaque tournante pour les contacts diplomatiques. Des ambassades de la Perse safavide, de l’Empire moghol des Indes, de l’Empire ottoman et, plus tard, de la Russie tsariste, fréquentaient régulièrement la cour des Chaybanides.
La transition vers la dynastie des Janides et la pérennité du khanat
La mort d’Abdullah Khan II en 1598 marque la fin du règne des Chaybanides sur Boukhara. La dynastie fut remplacée par les Astarkhanides (également connus sous le nom de Janides), une lignée latérale des Gengisides. Néanmoins, le khanat de Boukhara a continué d’exister en tant qu’entité politique, et de nombreuses structures institutionnelles et culturelles de l’époque cheibanide ont été reprises et développées.
La période janide a certes entraîné un déclin du pouvoir de l’État central et une fragmentation croissante, mais Boukhara est restée l’une des métropoles les plus importantes de l’Orient islamique.
Avec le début du XIXe siècle, Boukhara, autrefois un fier centre d’érudition islamique et la capitale influente d’un khanat, s’est retrouvée de plus en plus dans la ligne de mire géopolitique des grandes puissances impériales. Dans le cadre du « Grand Jeu » – la compétition coloniale entre l’Empire russe et l’Empire britannique pour la domination de l’Asie centrale – Boukhara devint un objectif stratégique de la politique d’expansion russe. L’établissement de l’influence russe qui s’ensuivit et les profondes transformations sociales et politiques sous la domination soviétique marquèrent le début d’un changement fondamental dans l’histoire de la ville, qui s’accompagna à la fois de pertes et de nouveautés.
L’avancée de l’empire tsariste – Influence politique et intégration économique
Dès le début du XIXe siècle, l’empire russe a tenté de consolider son influence en Asie centrale par des missions diplomatiques, des accords commerciaux et une présence militaire. Le traité de 1842 entre le khanat de Boukhara et l’empire tsariste a permis l’établissement d’un consulat russe à Boukhara – un premier pas vers une influence politique. Parallèlement, la Russie a acquis un contrôle économique sur la région en développant des liaisons commerciales via Orenbourg et Tachkent.
Mais le tournant décisif a eu lieu dans la deuxième moitié du 19e siècle : dans le cadre de leur expansion impériale, les troupes russes ont soumis une grande partie de l’Asie centrale entre 1865 et 1873. En 1868, l’émirat voisin de Samarkand a été occupé militairement et en 1873, les forces russes dirigées par le général Kaufmann ont envahi le khanat de Boukhara. L’émir au pouvoir, Muzaffar ad-Din, dut reconnaître la défaite militaire et signa un traité de vassalité qui laissait formellement à Boukhara son autonomie, mais qui, dans les faits, en faisait un protectorat de l’Empire russe.
L’émirat de Boukhara sous la souveraineté russe (1873-1920)
Si le khanat a été transformé en émirat et a conservé sa structure monarchique, il était désormais soumis à la surveillance étroite d’un « agent politique » russe basé dans la capitale. L’émir conservait nominalement ses pouvoirs, mais les décisions en matière de politique étrangère, de commerce, de politique douanière et d’affaires militaires étaient de facto prises à Saint-Pétersbourg ou par l’administration du gouverneur général à Tachkent.
Parallèlement, l’administration tsariste a misé sur une politique d’intégration économique : des lignes de chemin de fer comme le Transcaspien reliaient Boukhara aux centres industriels russes, des entrepreneurs russes ont construit des établissements commerciaux et des infrastructures modernes, et les marchandises russes ont de plus en plus dominé les marchés locaux.
Le règne de l’émir continua d’être soutenu par de nombreux habitants de Boukhara – en particulier par l’élite religieuse conservatrice – mais les inégalités sociales croissantes, la dépendance économique et l’impuissance politique provoquèrent des tensions au sein de la population.
Mouvements réformistes et renouveau national – Les Jadidistes
Au tournant du siècle, un mouvement réformiste influent s’est développé au sein des cercles intellectuels et religieux de Boukhara – les Jadidistes (« rénovateurs »). Ce mouvement éducatif et réformateur s’est engagé pour une modernisation de l’enseignement islamique, l’introduction de sciences occidentales, le renforcement de l’identité nationale et une démocratisation modérée.
Menés par des personnalités telles qu’Abdurauf Fitrat ou Munawwar Qari, les jadidistes ont tenté d’établir de nouvelles médersas (écoles dites « usul-i-jadid ») qui combinaient des contenus islamiques traditionnels avec des matières modernes telles que les sciences, l’histoire et la géographie. Ils publiaient des journaux et des pamphlets appelant au renouveau de la société et voyaient dans l’Empire russe à la fois une source de modernité technologique et une menace coloniale.
L’attitude autoritaire des souverains émiratis – en particulier du dernier émir Saïd Alim Khan (r. 1911-1920) – empêcha cependant une mise en œuvre profonde des projets de réforme. La division entre les oulémas conservateurs et les jadidistes aux idées progressistes s’aggrava à vue d’œil.
La révolution bolchevique et la chute de l’émirat
Avec la révolution d’octobre 1917 en Russie et la chute de l’empire tsariste, un nouveau vide de pouvoir s’est ouvert pour les mouvements révolutionnaires en Asie centrale. A Boukhara, les tensions entre les forces conservatrices de l’émirat et les réformateurs socialistes, qui se sont formés en une alliance sous la direction des jadidistes et des groupes d’orientation bolchevique, se sont aggravées.
Après l’échec d’un soulèvement populaire en 1918, l’émir a d’abord été soutenu, mais l’Armée rouge et les révolutionnaires d’Asie centrale ont lancé une deuxième offensive en 1920, cette fois avec succès. Le 2 septembre 1920, l’émirat de Boukhara fut officiellement aboli après une forte résistance des troupes de l’émir. Saïd Alim Khan s’exila en Afghanistan. Il fut remplacé par la République populaire de Boukhara, un État satellite d’orientation soviétique.
Le nouvel ordre soviétique – transformation socialiste et bouleversement culturel
L’établissement de la République populaire de Boukhara (1920-1924) marque le début de l’intégration systématique de la région dans la structure étatique soviétique. La République populaire a d’abord été gérée comme une unité politique autonome au sein de la zone d’influence soviétique, mais dès 1924, la République populaire a été dissoute et intégrée à la République socialiste soviétique d’Ouzbékistan (RSS d’Ouzbékistan). Boukhara perdit son statut de capitale et devint une ville de province dans l’Ouzbékistan soviétique.
La réorganisation soviétique a touché tous les domaines de la vie :
- Sur le plan politique, une structure de parti centralisée a été mise en place ; les groupes d’opposition, notamment les élites religieuses et les anciens jadidistes, ont été persécutés ou systématiquement marginalisés.
- Sur le plan religieux, la politique religieuse soviétique a entraîné la fermeture des mosquées et des médersas. De nombreuses institutions spirituelles, pour lesquelles Boukhara était célèbre depuis des siècles, ont été expropriées ou sécularisées.
- Sur le plan économique, l’agriculture a été collectivisée, le commerce a été nationalisé et l’économie artisanale traditionnelle a été réduite au profit de la planification industrielle.
- Culturellement, la région a subi une soviétisation agressive : l’écriture arabe a été remplacée par l’alphabet latin, puis par l’alphabet cyrillique ; les coutumes et les jours fériés locaux ont été remplacés par des rituels soviétiques ; les identités nationales ont été transformées par l’idéologie de l’internationalisme.
Résistance et répression – La révolte des Basmatches
Le nouvel ordre soviétique a toutefois également suscité une résistance massive. Le mouvement dit Basmatchen – un mouvement de guérilla très diversifié composé d’anciens fidèles des émirs, de milices tribales, de chefs religieux et de groupes nationalistes – a lutté contre l’occupation soviétique jusqu’à la fin des années 1920. Boukhara et ses environs furent régulièrement le théâtre de révoltes, d’actions de sabotage et d’affrontements armés.
La réponse soviétique a consisté en une répression brutale : des milliers de personnes ont été arrêtées, exécutées ou déportées. Le mouvement basmatch a été écrasé militairement jusqu’en 1931, après quoi la revendication soviétique du pouvoir en Asie centrale a été irréversiblement consolidée.
Redécouverte de l’identité culturelle après l’indépendance
L’effondrement de l’Union soviétique et l’indépendance de l’Ouzbékistan en 1991 ont marqué le début d’une nouvelle ère pour Boukhara. La ville, qui avait été soumise pendant des décennies à la planification centrale soviétique, est devenue partie intégrante d’une stratégie nationale de revitalisation de l’identité culturelle et religieuse. Boukhara a joué un rôle prépondérant dans ce processus, car elle était considérée comme un symbole de l’héritage historique de l’Ouzbékistan.
Le gouvernement post-soviétique d’Islam Karimov a rapidement reconnu le potentiel symbolique de la ville : en tant qu’ancien centre d’érudition islamique, patrie d’éminents philosophes comme l’imam al-Bukhari et refuge de l’héritage architectural des Timourides et des Sheibanides, Boukhara a été intégrée dans le récit officiel de l’histoire nationale de l’Ouzbékistan.
Dans ce contexte, on a procédé à une restauration ciblée de bâtiments historiques qui avaient été négligés ou profanés pendant la période soviétique. Des mosquées, des médersas, des mausolées et des caravansérails ont été restaurés avec le soutien de partenaires nationaux et internationaux, dont l’UNESCO, et de nouveaux monuments, mémoriaux et musées ont été créés pour souligner l’importance de Boukhara dans l’histoire de l’Ouzbékistan.
Patrimoine mondial de l’UNESCO et développement du tourisme
L’inscription de la vieille ville de Boukhara (« centre historique de Boukhara ») sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1993 a constitué une étape importante dans la nouvelle perception de Boukhara. Cette reconnaissance s’appuyait sur l’extraordinaire patrimoine architectural islamique qui s’est conservé de manière quasi continue pendant des siècles.
Parmi les monuments les plus importants, on trouve :
- la mosquée Kalon et le minaret Kalon,
- la médersa Mir-i-Arab,
- le complexe Lyabi-Hauz,
- la citadelle Ark,
- et le mausolée des Samanides.
Ces monuments ne sont pas seulement protégés, mais ont été largement restaurés au cours des dernières décennies et intégrés dans des concepts d’utilisation touristique. Le centre historique de Boukhara a été partiellement piétonnisé, de nouveaux hôtels ont été construits dans le style traditionnel et l’infrastructure a été développée pour les visiteurs nationaux et étrangers.
Boukhara est ainsi devenue l’un des principaux pôles d’attraction touristique d’Ouzbékistan – avec Samarkand et Khiva, elle forme le « triangle d’or » du tourisme culturel d’Asie centrale. La ville accueille chaque année plusieurs centaines de milliers de visiteurs, dont beaucoup viennent d’Europe, d’Asie de l’Est et, de plus en plus, de la région du Golfe.
Changement social et renaissance religieuse
Parallèlement aux changements économiques et culturels, Boukhara a connu une renaissance religieuse. Après l’effondrement de l’ordre soviétique marqué par l’athéisme, l’islam a repris une place plus importante dans la vie publique et privée. Des mosquées ont été rouvertes ou construites, des jours fériés religieux ont été officiellement reconnus et l’enseignement islamique a été progressivement autorisé à nouveau.
De nouvelles madrasas et des universités islamiques ont vu le jour à Boukhara, mettant notamment en avant l’héritage spirituel de l’imam al-Bukhari († 870), un érudit du hadith né dans les environs. Son nom se retrouve aujourd’hui dans les écoles, les instituts et sur les monuments – l’expression d’une réception de l’islam encouragée par l’État, basée sur la tolérance, l’éducation spirituelle et l’identité culturelle, mais qui se distancie clairement des courants extrémistes.
Dans le même temps, la politique religieuse ouzbèke reste restrictive à l’égard des groupes non contrôlés ou influencés par l’étranger, de sorte que la renaissance islamique à Boukhara est fortement marquée par les structures étatiques.
Économie, éducation et développement urbain
L’économie de Boukhara s’est également transformée au cours des dernières décennies. Outre le tourisme, les métiers traditionnels – notamment le tissage de la soie, la céramique, la sculpture sur bois et l’art du métal – jouent à nouveau un rôle central. Dans des ateliers spécialisés, des bazars et des centres artisanaux, on ne fabrique pas seulement des produits pour les besoins locaux, mais aussi des produits ciblés pour l’exportation et le marché touristique.
Le secteur de l’enseignement universitaire est par ailleurs un secteur en pleine expansion. Boukhara abrite l’université d’État de Boukhara, l’un des établissements d’enseignement supérieur les plus traditionnels d’Ouzbékistan, qui propose des programmes en histoire, architecture, tourisme, économie et sciences naturelles. En coopération avec des organisations internationales, l’accent est de plus en plus mis sur le bilinguisme, la numérisation et la mobilité internationale.
Sur le plan urbanistique, Boukhara connaît une modernisation douce mais profonde : de nouveaux quartiers résidentiels sont construits en périphérie de la ville, tandis que la vieille ville historique est protégée par des mesures d’urbanisme. L’équilibre entre préservation et rénovation constitue un défi permanent, notamment au regard de la pression exercée par l’augmentation du tourisme.
Coopération internationale et diplomatie culturelle
Boukhara joue aujourd’hui un rôle central dans la diplomatie culturelle de l’Ouzbékistan. La ville accueille régulièrement des conférences internationales, des festivals et des symposiums scientifiques. Des événements tels que le « Festival de la Route de la Soie d’Or » ou le « Symposium international de la culture islamique » attirent un public de spécialistes du monde entier.
De plus, Boukhara coopère avec des villes partenaires en Europe et en Asie et fait partie de nombreux programmes de l’UNESCO pour la préservation du patrimoine culturel immatériel, notamment dans le domaine de la musique traditionnelle et de l’artisanat.